Il tourne en rond.
Littéralement.
Scott se surprend à regretter ce qu’il n’aurait jamais cru déplorer – être au travail. Être si occupé qu’il n’a pas le temps de songer aux soucis qui étreignent sa vie. Être loin de l’appartement miteux qu’il partage avec sa petite sœur simplement pour mieux l’éviter. Scott sait qu’il n’est pas assez discret pour le lui dissimuler. Il n’a jamais su garder les secrets des autres et encore moins les siens. Il n’a jamais su mais la vérité, c’est qu’il n’a jamais voulu. Pétri par des idéaux grandiloquents d’honnêteté et de justesse bien-pensante, il réalise aujourd’hui que certaines informations méritent d’être clandestines. Doivent l’être pour le bien des autres. Des dommages collatéraux qui n’ont rien demandé mais qui essuient malgré tout les affres d’une erreur passée.
Lui aussi, c’en est un.
Une victime des circonstances. Un gosse paumé à qui on a offert la vérité sur un bout de papier. Il soupire, Scott. Désormais assis sur le canapé, sa main file dans sa tignasse graisseuse. Ce n’est qu’une impression – à force de traîner dans les cuisines de Burger King, entre les burgers et les frites huileuses, il s’imagine aussi gras que l’un de ces en-cas. Peut-être l’est-il, au-dedans. La personnification des plats réconfortants. Ceux qui réchauffent l’âme et les tripes. Scott, ce bon garçon. Ce type au coeur trop gros qui déborde dans l’espoir d’éclabousser les autres d’une lichette de générosité. Ça ne fonctionne pas – ils sont froids, les gens. Ils sont distants. Ils sont odieux et monstrueux, dans le pire des cas.
Ils mentent. Ils cachent. Et les scrupules, ils arrivent trop tard.
Scott se débarrasse de ses chaussons avant de poser ses pieds sur la table basse dans l’espoir fugace de remettre ses idées en place. Ça ne change rien – il ne sait pas se tenir. Il n’a jamais su. Un défaut, d’après son père. Une qualité, d’après sa mère. Un gosse turbulent, certes, mais un mioche curieux comme deux. Curieux pour deux, songe-t-il dans une grimace. Scott, il n’a toujours rien dit à Daisy.
Même si ça conscience l’exige. Même s’il le devrait, tout simplement. Et s’il l’estime encore trop jeune à ses yeux, ce n’est pourtant plus une gamine depuis longtemps. C’est une adulte. Une jeune femme qui le rejoindra bientôt dans la vie active. Il soupire à nouveau, Scott. La tête appuyée contre le dossier du canapé, les bras croisés et les yeux fermés, il savoure – essaye de savourer l’atmosphère tranquille d’un dimanche après-midi. Mais ça tourne en boucle, dans son crâne.
Ça se répète.
Ça s’encre, enfin.
Ce ça qu’il ose enfin nommer, depuis qu’il l’a rencontré.
Rhys, ce frère d’une autre mère. Ce frangin qui ne sait pas qu’ils sont plus que deux. Qu’il y a cette petite dernière enrubannée d’ignorance.
Il sursaute lorsque la porte d’entrée s’ouvre. Il s’est perdu dans ses pensées, Scott. Il n’a pas vu l’heure filer. Et un coup d’œil suffit à lui arracher une autre grimace plus ennuyée que la précédente. À chaque minute qui passe, Burger King se rapproche. Ombre gigantesque qui l’enveloppe, lui et son compte en banque. Incapable de s’échapper de son emprise, il fait avec. Même si ça le tue à petit feu.
Même si ça le pourrit – ce taff-là mais surtout, la ville. Pourtant, c’est un sourire crispé qu’il offre à Daisy alors qu’il se redresse déjà pour disparaître dans l’embrasure de la porte de la cuisine. « Tu sors, ce soir ? » Lui demande-t-il, le dos tourné. Une question soufflée sur le ton de l’innocence. Une question qui en dissimule une autre – est-ce que tu as toujours envie de sortir, après tout ça ?
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— when in doubt, ask gohan.